On s’était toujours dit qu’on prendrait la pleine mesure des Parisiens d’Acetate Zero sur leur premier album réel et officiel.
Voilà il est enfin là, s’étendant sur près de cinquante trois minutes et constitué de quatorze titres, ‘Ground Altitude’ vient de sortir sur le label français Arbouse Recordings qu’on connaît surtout pour leur compilation ‘Bucolique n°1’ déjà chroniquée en ces pages.
Voilà c’est avec une certaine émotion que l’on rentre dans ce disque d’Acetate Zero, de loin le groupe français le plus excitant et d’ailleurs l’un des plus à l’échelle mondiale tout court.
On ne va pas s’attendre à quelque chose de direct, ce n’est pas non plus ce que voulait. ‘Ground Altitude’ brouille les pistes. A l’image de leur photo de pochette, leur musique est floue et scintillante et à force ça finit par nous brouiller les yeux et laisser glisser quelques émotions des yeux.
Pas évident de retracer non plus la généalogie de cette musique, les pistes sont masquées. On osera parler pour autant du Hood des débuts, des Pale Saints / Spoonfed Hybrid, de Weevil ou de Movietone, de Sonora Pine et de Mogwai également. En figures tutélaires, Acetate Zero choisit sa place sous les auspices de My Bloody Valentine et Slint, inspirés sans jamais trop tirer la couverture sur eux, artisans de leur propre son.
Héritiers et porteurs d’une mythologie profonde qui insuffle vie aux strates de leur musique, Acetate Zero excelle également à créer des morceaux pas faciles et ambitieux, qui ont le charme de prétendre à rien et nous convainquent à reculons. Acetate Zero participe ici au dessein d’une scène indie pan européenne ambitieuse et avant-gardiste qu’on voit bourgeonner un peu partout ces derniers mois.
‘Ground Altitude’ n’est pas le genre d’album qui convainc à coup de bluffs ou de grands éclats. Pas de mélodies imparables, pas de dynamisme épique, juste des petits pas de fée, quelques éclats brillants qui ne se révèlent que peu à peu. Ecouter et réécouter ‘Ground Altitude’ c’est comme prendre la voiture par nuit claire et fuir la ville pour se diriger vers de grands espaces vides. Au fur à mesure que l’on quitte les lumières artificielles, on peut voir de plus en plus d’étoile dans le ciel, au plus l’émotion devient forte. La fragilité et la grâce ça se paie.
Ce disque est juste précieux et discret, pas vraiment de ceux de tous les jours, plutôt celui d’instants particuliers et intenses. ‘Ground Altitude’ est un de ces disques qu’on se doit de protéger. Un disque à ne pas mettre en évidence mais à toujours garder à portée de la main dans un endroit de refuge, secret.
Quant à dire qu’il s’agit d’un chef d’œuvre et qu’il est essentiel, alors oui mais pas pour tout le monde, pour ceux qui sauront le décoder. Pour ceux-là, ‘Ground Altitude’ est un champ ouvert de perspectives et d’explorations océaniques et épiphaniques. Un disque de bonheurs à partager en solitaire, équivalent à de grandes balades à l’air libre.
Pas de plan de bataille, pas de plan de carrière, pas de singles et pourtant une sensibilité pop planante et intime aussi volatile qu’à fleur de peau. Pas besoin d’aller plus loin que les trente premières secondes de l’instrumental d’introduction ‘mid tempo menace’ pour savoir que quelque chose de miraculeux est occupé à se produire. Acetate Zero sait croiser intimité et contemplation du ciel comme peut savent le faire. Sécurité, mélancolie et grandes étendues, l’endroit idéal où s’établir.
On poursuit avec un ‘Ascension’ digne de Mogwai, dynamique mais soumis à une torpeur mélancolique à laquelle il essaie d’échapper se débattant dans la distorsion et s’élevant vers un ciel azuré et glacé.
Retour au calme sur ‘South against north’, guitare en arpèges et chant féminin fragile et remarquable, quelque part entre Hood et Empress, sur un pic rocheux. ‘First class vacuity’ continue, courte chanson fugace et translucide comme le vent qui se glisse et met en mouvement le rideau de branches tombantes d’un saule pleureur.
Bien plus d’ambition de structures sur ‘Milford track station’, et une flûte envoûtante, comme une rencontre enfin possible entre le Sonora Pine de II et le Movietone de l’album éponyme. Acetate Zero aspire au même genre de miracles. Le duo discret qui suit, ‘Train Tale’, est un papillon de nuit capturé de plus.
Flottations atmosphériques avec l’instrumental ‘High rise collapse’, ondes célestes, perturbations, réverbérations mais calme général, climat entre ceux de Hood, Windy & Carl et Spoonfed Hybrid. On finit par se réveiller, nuit de plein air, fraîcheur astrale et enthousiasme des espaces naturels vides et étendus. ‘Deception island’ est tout sauf une déception, chant à deux voix, légères distorsions à la Sonic Youth, arc de cercles électrisés dans un ciel couchant rougeoyant, traînées d’avions en partance. Constamment superbe.
‘Your godliness and peripheral sides’ est la seule tentation electro-pop de l’album, comme si on finissait toujours à un moment où un autre par retourner auprès de New Order. Mais Acetate Zero fait ça bien, les rythmes sont assourdis et étouffés et la rythmique de ce morceau bien plaisante, sorte de nostalgie repassée au travers des fils d’une sensibilité moderne.
En cette fin de disque, ‘Ground Altitude’ va passer par une phase plus sombre et deux morceaux sans doute un brin trop complaisants. ‘Pushing me off wasn’t a good choice’ n’arrive pas convaincre complètement, trop soumis à sa tristesse et ‘taste the tempest’ souffre d’un manque de direction.
Place alors au très beau ‘I defy anyone for anything’ déjà présent sur l’excellente compilation ‘Performance #1’ du label Intercontinental. ‘The big headache’ s’ouvre dans la distorsion, suivi par une batterie lourde et une ambiance résolument Slint-ienne, un peu comme si Sebadoh reprenait Codeine. L’interlude ‘Gone’ vient alors clôturer l’album pas étranger à la Nouvelle Zélande de Roy Montgomery.
Au total ‘Ground Altitude’ ne ressemble pour ainsi dire à rien de connu, un peu comme un nouveau type d’album où la fièvre et l’émotion onirique et poétique dépasse la surface et la structure des morceaux. On n’arrête pas Acetate Zero, pas plus qu’on arrête une rivière, on laisse tout cela couler, submergé par la force tranquille et sourde, plume dans le vent, feuille d’arbre à la surface du courrant.
A acheter et à offrir les yeux fermés. ‘Ground altitude’ et Acetate Zero sont de ceux qui vont rester dans les mythologies. On espère leur avenir radieux et prolifique, un conte de fées.
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